Le lac Nokoué

(Revue Chasse-Marée, n°130, André Linard)
(Revue Chasse-Marée, n°130, André Linard)

Situé au Sud du Bénin, séparé de l’Atlantique par un long et large cordon littoral sur lequel s’est bâti la ville de Cotonou, le lac Nokoué couvre durant la saison sèche une superficie de quelque 160 km². Celle-ci triple, voire plus, en période de crues, si l’on tient compte des vastes espaces de marais bordant le lac proprement dit, qui sont recouverts d’eau durant quelques semaines par an. Le lac est alimenté par l’Ouémé, un fleuve qui prend sa source dans le Nord du pays, à 450 kilomètres de l’embouchure. Bénéficiant de l’apport de nombreux affluents, il se déverse dans la lagune de Porto-Novo, à l’Est du lac. Celui-ci reçoit aussi, dans sa partie Nord, les eaux d’une rivière plus courte, la Sô.


Une crue chronique

 

Le débit de ces cours d’eau est tributaire des pluies, réparties en saisons d’inégales durée. Le Sud du Bénin en connaît deux, la grande, de fin avril à juillet, et la petite, d’octobre à décembre. Le Nord du pays connaît une seule saison humide, de juin à octobre, dont une période de fortes précipitations en août. Les pluies gonflent rapidement le débit des rivières, ce qui provoque en aval une élévation de 1,20 m à 1,40 m des eaux du lac, entre juillet et septembre, avant qu’elles ne décroissent pour retrouver en novembre le niveau d’étiage, correspondant à une profondeur moyenne de 1,50 à 1,80 m.

La crue exceptionnelle en 2010.
La crue exceptionnelle en 2010.

D’origine lagunaire, le lac Nokoué était sans doute salé aux premiers âges de sa formation. Mais depuis des siècles, ses eaux devenues douces s’écoulaient naturellement vers l’Est à travers la lagune de Porto-Novo, pour rejoindre, après un parcours d’une centaine de kilomètres à travers un dédale de canaux, la lagune qui borde Lagos – capitale du Nigeria – en communication avec la mer. Mais les caprices des crues du lac, conjuguées aux fortes précipitations de caractère tropical, provoquaient jadis de fréquentes et importantes inondations dans certains quartiers de Cotonou, ville en pleine expansion déjà du temps de la présence française au Dahomey (1851-1960) – le pays reprendra le nom de Bénin en 1975, soit quinze ans après l’indépendance. L’évacuation des eaux pluviales reste d’ailleurs aujourd’hui un problème majeur de cette agglomération de près de huit cent mille habitants. Ainsi, au cours de l’automne 2010, de très importantes précipitations ont entraîné des crues exceptionnelles des cours d’eau alimentant le lac. La surcote a entraîné des inondations catastrophiques à Cotonou et même dans les villages lacustres, l’eau recouvrant des jours durant le plancher des cases, pourtant remarquablement adaptées au milieu. Ces inondations ont provoqué la mort d’une quarantaine de personnes et des dégâts considérables.

Le chenal maritime et ses conséquences

 

En 1885, afin de limiter ces effets dévastateurs, l’administration française de ce qui deviendra neuf ans plus tard la « colonie » du Dahomey a entrepris le percement, à la pelle et à la pioche, d’une tranchée de 4 kilomètres de longueur dans le sable du cordon littoral, pour évacuer plus rapidement une partie des eaux lacustres vers la mer. Résultat : sous la pression de ce flux d’eau douce, en quelques jours, la rigole d’à peine 2 mètres s’est transformée en un chenal de 400 mètres de large. On imagine les conséquences écologiques, car, une fois l’eau douce évacuée, c’est l’océan qui est venu envahir le lac. Ce qui a entraîné des modifications de la flore et de la faune, l’eau salée stérilisant des zones périodiquement exondées, jusqu’alors cultivées, et favorisant la venue d’espèces marines au détriment de celles d’eau douce.

 

Durant des décennies, le nouveau chenal s’est obstrué à plusieurs reprises, parfois pour de longues durées, suite aux déplacements du cordon littoral. Mais les événements ont repris une tournure spectaculaire à la fin des années cinquante, lors de la construction du port en eau profonde de Cotonou.

Ces travaux ont à nouveau bouleversé le littoral et le chenal s’est rouvert en grand. L’édification, en 1978, d’un barrage – resté inachevé – a favorisé temporairement le colmatage de l’exutoire.

 

D’autres travaux seront repris sept ans plus tard pour limiter, autant que faire se peut, la pénétration de l’eau salée, qui domine néanmoins dans la partie Sud du lac, la salinité diminuant dans le Nord. Mais quand vient la crue, le lac retrouve sa nature d’antan, l’eau douce chassant l’eau de mer. Alors, tandis que les espèces bien adaptées à l’eau saumâtre subsistent quelque soit l’époque, d’autres, essentiellement marines – en particulier les crevettes –, repartent vers le large, remplacées par celles d’eau douce descendant les rivières. Et à la fin de la crue, le phénomène s’inverse. Aujourd’hui, les espèces les plus couramment pêchées dans le lac sont les tilapias (appelées communément carpes), les aloses, les silures blancs, les mulets, les gobies, toutes plus ou moins abondantes selon leur acceptation du degré de salinité de l’eau saumâtre (entre 5 et 30 0/00).

Un fragile équilibre

 

Soumis à la pression démographique des villages lacustres et de Cotonou, totalisant plusieurs centaines de milliers d’habitants, le lac frôle périodiquement l’asphyxie. La forte densité des pêcheries fixes, en particulier les akadjas dont les clôtures ralentissent le cours de l’eau, et les tonnes de déchets végétaux qu’elles génèrent, favorisent une forte sédimentation. Le lac s’ensable avec l’apport des rivières et s’envase rapidement. Extrait au seau par des plongeurs en apnée, ce sable est utilisé pour la construction. Par endroits, le fond s’est rehaussé de près d’un mètre en une trentaine d’années. A cet effet de sédimentation s’ajoute le problème de la qualité de l’eau. Les villages lacustres sont fortement dépourvus d’installations sanitaires et d’épuration. Dans une forte proportion, les déjections humaines et animales se retrouvent dans le lac, qui, s’il a pu digérer durant des siècles ces apports organiques, en est moins capable aujourd’hui.

 

Depuis une douzaine d’années, des projets sont menés pour doter les villages de latrines collectives et d’usage payant. Progressivement, des équipements conçus chacun pour une centaine de personnes sont édifiés, à la satisfaction de tous. Mais construire de tels ensembles en milieu inondable rencontre de grandes difficultés, tant sur le plan technique que financier, et l’aide de la communauté internationale s’avère souvent nécessaire.

 

La pollution organique n’a heureusement que peu d’effet sur la faune aquatique, sauf exception, quand la conjugaison d’une élévation excessive de la température de l’eau, une salinité trop élevée et des pluies violentes entraînant de grandes masse de déchets, aboutit à une dégradation rapide et exceptionnelle du milieu.

 

En période de crues, l’eau radoucie est efficacement épurée par les jacinthes d’eau qui prolifèrent alors. Nettoyeur redoutable, ce tapis végétal présente néanmoins quelques inconvénients : il gêne la navigation des pirogues en frottant les coques, se prend dans les hélices de moteurs des chalands, empêche la lumière de pénétrer l’eau. Et s’il disparaît rapidement de la surface avec le retour de l’eau salée, il participe au phénomène d’envasement en se décomposant.

 

Eaux de surface et aquifères

 

L’eau du lac n’est pas utilisée pour la consommation. Naguère, l’eau pour la cuisine ou la boisson était puisée dans des trous creusés dans les marais. Ces réserves, souvent éloignées des villages, obligeaient à d’interminables trajets en pirogue, tâches dévolues par tradition aux femmes et à leurs filles. Cette situation s’est améliorée dès 1956 quand furent creusés les premiers puits artésiens. Encore rares, ils n’évitaient pas les longs trajets en pirogue mais donnaient une eau de bonne qualité. Le changement fut radical à partir de 1984, grâce au forage de captages réalisés à une centaine de mètres de profondeur. La nappe souterraine fournit une eau d’excellente qualité distribuée par des stations munies de compteurs, qu’on paie sur le champ en venant se servir.


Où se trouve le lac Nokoué ?





Film "Les Lacs frères"

Par Yolande Josèphe

Le film retrace les liens passés et actuels entre les habitant-e-s du lac de Grand-Lieu près de Nantes  et les Toffinous du lac Nokoué au Bénin.

 

Consulter la fiche du documentaire ici.



La jeunesse à Sô-ava : deux vidéos

Par Vianney Orjebin et Ségolène Orjebin

Par André Todjé et Arnaud de la Cotte



Les eaux changeantes du lac nokoue

Par André Linard


Les Toffinou

Par André Todjé et Arnaud de la Cotte

La crue du siècle en 2010

Par André Todjé et Arnaud de la Cotte



Les Toffinous, hommes de l'eau - Revue Chasse-marée - n°130

Par André Linard


Tendance climatique et production halieutique du lac Nokoué

Par Mahoutin Jean Djissou